Et au milieu coule une rivière…
C’est ainsi que l’on pourrait décrire Tbilisi, la capitale de la Géorgie. La ville a été bâtie sur les collines qui bordent les deux rives, et est donc très vallonnée. Elle a aussi conservé, sous certains aspects, des allures soviétiques, avec ses larges boulevards de cinq ou six bandes de circulation, ponctués d’un square orné d’une statue gigantesque. Les bâtiments sont anciens, parfois un peu gris, mais la Tbilisi Arena, également située sur une colline, est ultra moderne et flambant neuve. De quoi rendre jaloux la plupart des clubs belges.
C’est là que les Belgian Lions ont disputé la phase de poule de leur cinquième Euro d’affilée. La destination était lointaine pour les fans belges, et ceux-ci se comptaient donc sur les doigts d’une main. Il y a pourtant des touristes à Tbilisi, mais pas ceux que l’on a l’habitude de croiser sous nos latitudes. Ici, ils ne sont pas français, allemands ou américains, mais plutôt russes, turcs voire… philippins.
Une bonne entame de tournoi
Les Belgian Lions ont eu l’honneur d’entamer la compétition face au pays hôte, la Géorgie, qui a eu le malheur de perdre son leader Toko Shengelia (ex-Pepinster et Charleroi, et surtout ex-NBA) six jours avant le début du tournoi. Il s’est blessé lors d’un match de qualification pour la Coupe du Monde, et son ombre a pesé sur l’équipe géorgienne. Une mésaventure qui, à nous Belges, rappelle celle survenue à Axel Hervelle en 2011 : il s’était blessé à la veille du départ pour Klaipeda, en Lituanie. Sans leur capitaine emblématique, les Belgian Lions n’avaient pas gagné un match pour leurs retrouvailles avec le Championnat d’Europe, après 16 ans d’absence.
Les Géorgiens, eux, aussi, ont souffert sans leur leader : les Belgian Lions ont maîtrisé la majeure partie de la rencontre (jusqu’à 12 points d’avance), mais se sont fait rejoindre, et même dépasser, en fin de match. Ils ont fini par émerger dans la prolongation, sur un panier à trois points providentiel de Jonathan Tabu, dont tout le monde attendait une pénétration. « Une victoire conquise au caractère », souligne Maxime De Zeeuw.
Le deuxième match est à oublier. Contre le Monténégro, qui a remplacé la Russie exclue de la compétition à cause de la guerre en Ukraine, les Belgian Lions n’ont jamais été dans le coup. Ils ont été menés tout le match (jusqu’à 20 points de retard) et s’ils sont revenus à six points au buzzer final (70-76), c’est aussi parce que les Monténégrins (avec Vladimir Mihailovic, ex-Alost et ex-MVP du championnat de Belgique) ont lâché un peu de lest. Sur la fin, Dario Gjergja a d’ailleurs joué le ‘goal-average’ et n’a pas essayé de forcer la victoire. « A quoi bon commettre des fautes pour récupérer le ballon ? Les Monténégrins étaient à 100% aux lancers francs. Alors, je préfère perdre de six points que de huit ou de dix. On ne sait jamais qu’il y aurait une égalité à plusieurs équipes en fin de tournoi… »
Les faits ont failli lui donner raison : il y a effectivement eu une égalité entre trois équipes, mais malheureusement pour nous, ce n’était pas les ‘bonnes’ équipes. Nous avons terminé à égalité avec le Monténégro et la Turquie, les deux équipes qui nous ont battues. Si nous avions terminé à égalité avec le Monténégro et l’Espagne, nous aurions fini 2eplutôt que 4edu groupe…
Exploit historique contre l’Espagne
L’Espagne, c’était précisément l’adversaire suivant. A priori une barrière insurmontable. Les Espagnols s’étaient promenés lors de leurs deux premiers matches, face à la Bulgarie et la Géorgie. « Ce ne sera pas facile, mais dans un bon jour, nous pouvons battre tout le monde », s’est risqué Hans Vanwijn. Il ne croyait pas si bien dire : les Belgian Lions ont réalisé l’un des plus beaux exploits de leur histoire. Grâce à une défense intransigeante, un jeu collectif sans faille et une belle adresse à trois points, ils ont battu les champions du monde. Et pas d’un point, mais de dix points : 83-73, après 32-33 au repos. Le petit format Emmanuel Lecomte, qui a joué à Gran Canaria, s’est faufilé à travers les grands formats espagnols, et a inscrit 20 points. « Je dois féliciter les Belges, ils ont mérité leur victoire. Ils ont très bien défendu et ont de bons shooteurs », a sportivement souligné le coach Sergio Scariolo. « Nous devons apprendre de ce match », a renchéri Rudy Fernandez, qui est devenu le deuxième joueur espagnol le plus sélectionné avec 240 matches (derrière Navarro, 253).
Une légende comme Rudy Fernandez qui doit ‘apprendre’ de la Belgique, on croit rêver.
« A part cinq minutes où nous nous sommes pris un 15-0, c’était comme dans un rêve », a déclaré Dario Gjergja.
Do or die contre la Bulgarie
Après un jour de repos, c’était au tour de la Turquie, l’autre favori du groupe, de se retrouver sur la route des Belgian Lions. Il n’y a pas eu de deuxième exploit : défaite 63-78. Voyant que la victoire lui échapperait de toute façon, Dario Gjergja a d’ailleurs offert beaucoup de temps de jeu aux jeunes. Haris Bratanovic, peu utilisé jusque-là, en a profité pour terminer meilleur marqueur du match avec 15 points. Mais le match décisif, c’était le cinquième, contre la Bulgarie, victorieuse de la Géorgie avec 33 points (dont 9 sur 14 à trois points) et 12 assists du naturalisé Dee Bost. C’était doordie. Pour les deux équipes. Car la Bulgarie avait battu la Géorgie et se serait qualifiée à notre détriment en cas de victoire.
Les antécédents ne plaidaient pas spécialement en notre faveur. Une journaliste bulgare a rappelé que la dernière participation de la Bulgarie à un Euro remontait à 2011, en Lituanie. Là-bas, les Bulgares avaient engrangé deux victoires : contre la Géorgie et la… Belgique ! L’histoire allait-elle se répéter ?
Il en fallait plus pour déstabiliser les Belgian Lions, dont certains avaient vécu cet épisode de 2011. « Mais cette fois, nous n’avons jamais tremblé, même quand les Bulgares ont pris un point d’avance. Nous étions sûrs de la victoire », souligne Maxime De Zeeuw. Une victoire synonyme de ticket pour Berlin. « Je suis content », ajoute Maxime De Zeeuw. « C’est sans doute mon dernier Euro, d’autant qu’il n’est plus organisé que tous les quatre ans, et c’est bien d’atteindre les huitièmes de finale. »
Avec trois victoires en cinq matches, qui plus est. Autant que le Monténégro et la Turquie, avec qui nous terminons à égalité. Mais avec un ‘goal average’ défavorable par rapport à ces équipes-là, donc. Ce qui nous a placé 4edu groupe
Face à la Bulgarie, Retin Obasohan a inscrit 25 points et est devenu le premier joueur belge à atteindre ce chiffre lors de plusieurs matches d’un même Euro (il l’avait déjà fait contre le Monténégro).
Côté bulgare, c’était la déception et l’amertume qui prédominaient. « Félicitations aux Belges », a quand même commenté le coach Rosen Barchovski. « Mais nous avons laissé beaucoup d’énergie dans le match de la veille contre la Géorgie, alors que les Belges n’ont pas… joué contre la Turquie. Ils ont aligné leurs jeunes et préservé leurs forces pour nous affronter. C’était intelligent de leur part. Ils avaient aussi très bien préparé ce match, et nous ont obligé à courir pour le repli défensif tout en gênant nos shooteurs à distance. »
Face à Luka Doncic
A Berlin, c’était la Slovénie, championne d’Europe en titre, qui nous attendait. Et un certain Luka Doncic, auteur de… 47 points contre la France en phase de poule. C’était ce que certains Lions espéraient : se mesurer à ce qui se fait de mieux en Europe. Et ils n’ont pas à rougir de leur prestation. Ils ont même fait douter les Slovènes, en étant certes toujours menés (d’un maximum de 11 points) mais en s’accrochant. Ce n’était que 44-41. Une fois, ils sont passés devant : à 63-64. Ce fut la première et la dernière fois. Dans la foulée, ils se sont effondrés : 25-12 dans le dernier quart, et 88-72 au final. Les Lions avaient dépensé beaucoup d’énergie et leur pourcentage à trois points, qui était de 40% en première mi-temps (8 sur 20), a chuté en deuxième mi-temps (3 sur 15). Dans ces conditions, on sait que cela devient compliqué pour les Belgian Lions.
Mais ceux-ci ont quand même eu droit aux éloges de Luka Doncic en personne. « Nous savions que cela ne serait pas un match facile pour nous. Les Belges ont battu l’Espagne en phase de poule, et la Serbie (deux fois) en qualification pour la Coupe du Monde. Ce qui nous a permis d’émerger, c’est que nous avons un peu modifié notre défense en deuxième mi-temps et que notre adversaire a perdu de son adresse. Mais chapeau aux Belges : ils pratiquent une défense très physique, et un très beau basket en attaque. »
Les Belgian Lions sont donc sortis la tête haute. Auraient-ils pu faire mieux qu’un huitième de finale ? Peut-être, mais à condition de tomber sur un autre adversaire que la Slovénie. Ils savaient qu’ils affronteraient de toute façon une équipe issue du groupe de Cologne. Et elles étaient toutes plus fortes que nous : que ce soit la France, la Lituanie ou l’Allemagne qui jouait à domicile.
Paradoxalement, la tâche aurait sans doute été plus facile en quart de finale, face au vainqueur du match Ukraine-Pologne (la Pologne, donc). Mais voilà, le calendrier était ainsi établi…
C’était un peu l’Euro des underdogs. L’Italie, avec un jeu collectif bien huilé et un Marco Spissu chaud comme la braise à trois points, a sorti la Serbie de Nikola Jokic. Et la Finlande, avec un Lauri Markkanen auteur de… 43 points, a sorti la Croatie. Quant au Tchèque Tomas Satoranski, blessé en début de tournoi, il a délivré… 17 assists en quart de finale contre la Grèce. Un record.
Une question est régulièrement revenue sur le tapis : celle des naturalisés. Visiblement, la FIBA s’en préoccupe. Pratiquement tous les pays de l’Est ont le leur : Dee Bost pour la Bulgarie, Kendrick Perry pour le Monténégro, Jaleen Smith pour la Croatie, Thaddus McFadden pour la Géorgie, John Roberson pour la Bosnie, Shane Larkin pour la Turquie… Quels liens ont-ils avec le pays ? Certains n’ont même pas joué avec un club du pays concerné ? Ils jouent avec l’équipe nationale comme ils joueraient avec le Cibona Zagreb ou le Buducnost Podgorica, parce qu’ils ont un contrat.
Plusieurs anciens joueurs d’Ostende étaient présents à l’Euro : Mikael Jantunen avec la Finlande, Marko Jagodic-Kuridza avec la Serbie, Mateusz Ponitka avec la Pologne…
Dario Gjergja, lui, a donné sa carte de visite. Plusieurs de ses collègues ont souligné la qualité de son coaching. Des victoires contre l’Espagne, la Serbie et précédemment la Lituanie, cela ne passe pas inaperçu. Ces prestations avec les Belgian Lions devraient lui ouvrir des portes. Est-ce dès lors sa dernière saison à Ostende ? Lorsque le BCO a remporté le titre, en juin, il avait déclaré qu’il resterait encore à coup sûr une saison. « Après, on verra… »
Daniel Devos